Je suis arrivé par un vol Montréal-Fort Lauderdale vers 1h P.M. pour ensuite prendre la navette portuaire vers le navire de mes rêves…
Nous sommes en 1982; les croisières gagnent en popularité depuis environ 7ans.
La Carnivale Cruise Line n’a qu’environ trois ou quatre navires battant son pavillon : Le Carnivale, le Mardi-Gras et pour les autres, j’en ai oublié les noms.
Ces deux navires provenaient de la Canadian Pacific Steamship Lines qui assurait la route transatlantique entre Liverpool, New-York et Montréal. Leur nom de baptême était, dans l’ordre : L’Empress of Britain et l’Empress of Canada, tous deux construits en Angleterre et aux apparences des Grands Liners des années 1955-1976.
Le Carnivale faisait dans les 25,500 tonneaux, avec 640 pieds de longueur de la poupe à la proue qui se voulait effilée comme un rasoir. Dans sa robe blanche il faisait penser à la mariée en habit de cérémonie, avec son ruban rouge à la taille, attendant fièrement l’arrivée de ses invités pour faire la noce. Tous les navires en anglais sont précédés du fameux « She’s ». C’est ainsi que je découvris cette sirène de la mer attachée à son quai et m’exclamai sans retenue : She’s beautiful ! Pas une seconde je n’hésitai « à la marier ».
Je pris donc la passerelle d’embarquement pour me rendre sur le pont avant, où nous attendaient les membres d’équipages avec le cocktail de bienvenue et nos instructions pour le grand voyage : une semaine en mer avec arrêt à quelques ports exotiques des Caraïbes.
On m’avait dit avant mon départ : « Tiens ton estomac occupé en grignotant et n’abuse pas des alcools, ainsi tu n’auras pas ce désagréable mal de mer. C’est ce que je fis en grignotant les entrées et sirotant uniquement les boissons à base de fruits non fermentés. Une fois l’heure du souper choisie pour toute la durée de la croisière, je me rendis à ma cabine m’y installer confortablement.
Seul voyageur de « ma gang », je partagerais donc la cabine avec 3 autres « singles » comme moi. Déjà ils avaient aménagé et j’héritai de la deuxième couchette du haut. Ce n’était pas une cabine de grand luxe, mais convenable et confortable. Je chambrai donc avec 3 étudiants de l’Université de Toronto qui faisaient partie d’un groupe mixte occupant près du quart du pont de nos cabines.
À 4h. , tel que prévu, le Carnivale leva l’ancre et gagna le large. Un navire n’attend jamais les retardataires et nous étions bien avertis qu’aux escales; il faut revenir bien avant l’heure de départ, sinon nous aurions à joindre le navire à la prochaine escale par nos propres moyens, ou rentrer à son port d’attache de la même façon. À la limite des eaux territoriales, la houle du grand large se fit soudain sentir… Monté sur le pont prendre l’air, je constatai que tout un chacun était vert, blanc ou gris et que des vomissements au sol se faisaient bien sentir dans l’air marin. Le conseil devait se révéler efficace et, mis à part les odeurs, je n’éprouvais aucun malaise. Je décidai d’aller prendre une douche et fuir ce désagrément, le temps que l’équipage nettoie les dégâts.
Une fois dans la douche et seul dans la cabine, une sirène retentit et se faisait insistante… « Ah, c’est l’exercice d’évacuation en mer, me dis-je… Qu’il la fasse sans moi! » Mais le maître de cabine de mon secteur entra dans la pièce et m’ordonna sèchement de me vêtir, prendre mon gilet et monter sur le pont des embarcations à tel numéro de secteur… Vu son ton… Je ne me suis pas révolté…
Bien sûr j’arrivai après tous les autres et me retrouvai donc dans la première rangée d’une embarcation, avec devant moi mon maître de pont au ton féroce de sergent de la marine.
Il ordonna à ses sbires d’ouvrir les portes de la garde devant une chaloupe sur son bossoir puis, se tournant vers nous : Première rangée, avancez sur la ligne blanche !
Quoi? Cette ligne blanche est au bord de l’abîme et il veut que j’avance sur elle, pas question ! Et je tentai de me faufiler en deuxième rangée…
Vous-là ! Revenez ici ! Et il me réserva la première place au bord du précipice…
À mon ordre, vous monter dans la chaloupe!
Misère! Je vais mourir de peur et la croisière en sera un cauchemar… Personne ne lui a dit que l’eau et moi on ne se serre jamais la pince ?
Mais les sergents ne sont pas des fous (enfin pas tous) et il n’avait voulu que me discipliner, et que je fis face à mes craintes en cas de réelle évacuation. La sirène tonna à nouveau et les portes du gouffre se refermèrent sur mes peurs. Ouf !
J’ai cette faiblesse de croire que trop près des eaux, un monstre va en sortir juste pour m’y précipiter et m’y voir couler comme une pierre en riant de toute la sauce de sa pizza coulant entre ses dents. Mais les deux pieds bien écartés sur le pont de bois, bien loin de la rambarde, il peut s’amener… J’en ferai du bœuf haché.
Tiens! J’ai déjà adopté la marche de la femme enceinte…
Le navire se remit en marche (car il avait stoppé son avance sans que je m’en rende vraiment compte) et je retournai à ma douche. Je remontai ensuite sur le dernier pont supérieur, ouvert à la mer et au ciel bleu, dans l’attente du dernier souper de 9h, non sans avoir « rapillé » un sandwich et un cola en guise d’amuse-gueule.
J’étais presque seul sur ce pont et en fus comblé. Sur ce navire nous étions environ 700 passagers et un peu plus de 200 membres d’équipage. Sa capacité maximale était d’un peu plus de 1100 personnes. Parfait pour moi, je ne pars jamais en vacances pour me retrouver dans un stadium de baseball… Je m’allongeai sur une chaise-longue et consultai le Journal du bord sur les activités et les déplacements du navire pour demain. Prochaine escale : Samana.
Déjà l’horizon rougeoyait et la mer d’émeraude chatoyait de toute sa palette verte… La mer était calme et la bise devenue tiède et propice à un sommeil, où je glissai aisément… Mais d’abord, régler la sonnerie de la montre à 8h30 pour ne pas rater le souper. À mon éveil, le bleu de la nuit noircissait à vue d’œil.
Allons souper !
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Emoress of Britain/Carnivale:
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