Messages : 1830 Date d'inscription : 06/06/2010 Age : 68 Localisation : Québec
Sujet: Émille Nelligan Lun 2 Aoû - 3:02
(1879-1941)
Le vaisseau d'or
Ce fut un grand vaisseau taillé dans l'or massif : Ses mâts touchaient l'azur sur des mers inconnues ; La Cyprine d'amour, cheveux épars, chairs nues, S'étalait à sa proue, au soleil excessif.
Mais il vint une nuit frapper le grand écueil Dans l'Océan trompeur où chantait la Sirène, Et le naufrage horrible inclina sa carène Aux profondeurs du gouffre, immuable cercueil .
Ce fut un Vaisseau d'or, dont les flancs diaphanes Révélaient des trésors que les marins profanes, Dégoût, Haine et Névrose, entre eux ont disputés.
Que reste-t-il de lui dans la tempête brève ? Qu'est devenu mon coeur, navire déserté ? Hélas ! il a sombré dans l'abîme du Rêve !
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Soir d'hiver
Ah! comme la neige a neigé! Ma vitre est un jardin de givre. Ah! comme la neige a neigé! Qu'est-ce que le spasme de vivre A la douleur que j'ai, que j'ai.
Tous les étangs gisent gelés, Mon âme est noire! Où-vis-je? où vais-je? Tous ses espoirs gisent gelés: Je suis la nouvelle Norvège D'où les blonds ciels s'en sont allés. Pleurez, oiseaux de février, Au sinistre frisson des choses, Pleurez oiseaux de février, Pleurez mes pleurs, pleurez mes roses, Aux branches du genévrier.
Ah! comme la neige a neigé! Ma vitre est un jardin de givre. Ah! comme la neige a neigé! Qu'est-ce que le spasme de vivre A tout l'ennui que j'ai, que j'ai...
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Prière du soir
Lorsque tout bruit était muet dans la maison, Et que mes soeurs dormaient dans des poses lassées Aux fauteuils anciens d'aïeules trépassées, Et que rien ne troublait le tacite frisson,
Ma mère descendait à pas doux de sa chambre ; Et, s'asseyant devant le clavier noir et blanc, Ses doigts faisaient surgir de l'ivoire tremblant La musique mêlée aux lunes de septembre.
Moi, j'écoutais, coeur dans la peine et les regrets, Laissant errer mes yeux vagues sur le Bruxelles, Ou, dispersant mon rêve en noires étincelles, Les levant pour scruter l'énigme des portraits.
Et cependant que tout allait en somnolence Et que montaient les sons mélancoliquement Au milieu du tic-tac du vieux Saxe allemand, Seuls bruits intermittents qui coupaient le silence,
La nuit s'appropriait peu à peu les rideaux Avec des frissons noirs à toutes les croisées, Par ces soirs, et malgré les bûches embrasées, Comme nous nous sentions soudain du froid au dos !
L'horloge chuchotant minuit au deuil des lampes, Mes soeurs se réveillaient pour regagner leur lit, Yeux mi-clos, chevelure éparse, front pâli, Sous l'assoupissement qui leur frôlait les tempes ;
Mais au salon empli de lunaires reflets, Avant de remonter pour le calme nocturne, C'était comme une attente inerte et taciturne, Puis, brusque, un cliquetis d'argent de chapelets...
Et pendant que de Liszt les sonates étranges Lentement achevaient de s'endormir en nous, La famille faisait la prière à genoux Sous le lointain écho du clavecin des anges.
Et cet extrait du Violon brisé, Merci Jocsim
Aux soupirs de l'archet béni, Il s'est brisé, plein de tristesse, Le soir que vous jouiez, comtesse, Un thème de Paganini.
Comme tout choit avec prestesse ! J'avais un amour infini, Ce soir que vous jouiez, comtesse, Un thème de Paganini.
L'instrument dort sous l'étroitesse De son étui de bois verni, Depuis le soir où, blonde hôtesse, Vous jouâtes Paganini.
Mon coeur repose avec tristesse Au trou de notre amour fini. Il s'est brisé le soir, comtesse, Que vous jouiez Paganini.
Et cet autre:
Reine, acquiescez-vous qu'une boucle déferle Des lames des cheveux aux lames du ciseau, Pour que j'y puisse humer un peu de chant d'oiseau, Un peu de soir d'amour né de vos yeux de perle ?
Au bosquet de mon coeur, en des trilles de merle, Votre âme a fait chanter sa flûte de roseau. Reine, acquiescez-vous qu'une boucle déferle Des lames des cheveux aux lames du ciseau ?
Fleur soyeuse aux parfums de rose, lis ou berle, Je vous la remettrai, secrète comme un sceau, Fût-ce en Eden, au jour que nous prendrons vaisseau Sur la mer idéale où l'ouragan se ferle.
Reine, acquiescez-vous qu'une boucle déferle ?
Tel au chalet des plumes, l'ami
Emile Nelligan
Claude Léveillé
Ici, est mon jardin si cela vous tente, pas trop pub moi
il faut s'enregistrer parce que je protège les droits d'auteurs
renee jeanne mignard Admin
Messages : 14697 Date d'inscription : 28/05/2010 Age : 98 Localisation : Touraine
Sujet: Re: Émille Nelligan Lun 2 Aoû - 9:30
Quelle bonne idée, Réal, d'avoir édité ces poèmes d'Emile Nelligan, célèbre poète canadien, que notre amie Mirabelle, ta compatriote, connait bien elle aussi.
Quelle superbe envolée lyrique dans chacun de ses poèmes... A lire et à relire....
Et à écouter, grâce à toi.
Merci Réal.
Mirabelle
Messages : 1218 Date d'inscription : 15/06/2010
Sujet: Re: Émille Nelligan Mer 18 Aoû - 1:29
Merci Réal pour partager ces belles envolées lyriques d'Émile!
atouthasard
Messages : 1830 Date d'inscription : 06/06/2010 Age : 68 Localisation : Québec
Sujet: Re: Émille Nelligan Lun 6 Sep - 1:56
mais oui c'est Claude Léveillé et André Gagnon je pense pour la zique