Vies croisées ( cherchez la lettre absente) à suivre.

Suite 11


Il l’observe et reprend son crayon de graphite,
Noircit l’ombre enclosant l’éclairage
De l’orbe des seins, et renforce la limite
Des globes arrondis, bombant le corsage.

Ne sachant contenir cet émoi bondissant,
Eve évite Adam, si passionné à la peindre,
En levant vers le ciel son regard attendrissant,
Afin d’empêcher cette émotion de l’atteindre.

Discrètement Adam cesse de crayonner
-« Ce n’est pas facile de rester immobile ?
Je ne sais comment me faire pardonner,
J’ai comme toi très soif, je t’invite en ville.»

Et voilà ce « te » délivrant le message
De l’intimité naissante entre nos amis.
Eve sent battre le sang devenir moins sage,
Et lève vers Adam son regard interdit.

Suite 12

Le port draine les gens, revenant de la plage,
Certaines terrasses sont déjà encombrées,
Les tables libres sont prises à l’abordage,
Car le café est bon et la bière est ambrée.

A ce premier étage, désert les étés,
Eve et Adam vont s’y installer solitaires,
En dominant le port, et sans être affectés
Par les éclats de voix et les vains commentaires.

Parviennent simplement les fragrances marines,
Cet arôme odorant des cafés forts, servis,
Et le grincement des chaises de moleskine,
Mais à cet endroit-là, n’ont pas de vis-à-vis.

Percevant la timidité de sa compagne,
Adam engage alors la conversation.
Il raconte sa vie dans ce coin de montagne,
Décrit bois et forêts avec grande passion.

Il vit, voilà trois ans, dans ce village alpin.
Exerçant avec joie son métier d’agronome,
Il recense la flore et l’étrange sapin,
Spécimen albinos absent de polychrome.

Sortant de sa poche, la photo de cet arbre
Il la montre à Eve en épiant ses regards.
En levant l’image de la table de marbre
Eve admire ce cliché si loin des standards.

Suite 13

Pas facile à l’instant, de discerner le fil
De ce récit prenant chez Agatha, importance.
Alors dans la chambre s’envole son exil
Tant elle crée la vie avec belle insistance.

Ce matin elle doit aller chercher son pain,
Et choses paraissant vraiment essentielles,
Afin de développer son travail d’écrivain,
Sans être stoppée par des tâches matérielles.

En sirotant son café, ordinairement
Lit le magazine, prêté par la patronne.
Elle regarde le différent comportement
Des clients attablés et n’attendant personne.

Ce matin elle a pris son carnet avec elle,
Pensant être inspirée par cet anonymat ,
Afin de transposer l’emprise émotionnelle,
De ses héros noyés dans le même climat.

A la table à côté, elle aperçoit cet homme,
Devant le chocolat et son cahier vert,
Écrivant très serré, en signes économes,
Des lignes noircies par des textes en vers.

Suite 14

De son sac, Agatha, retire le carnet,
Mais le laisse fermé, à côté de sa tasse.
Regardant s’emplir le petit estaminet,
Elle observe ce vif va et vient, de sa place.

L’homme, à côté, s’extrait en gommant le son,
Plongé dans son travail, il écrit sans arrêt,
Et laisse refroidir, sans boire, sa boisson,
Car rien ne semble retenir son intérêt.

Pris par sa création il marmonne des mots,
Biffant, agacé, lignes et phrases écrites.
Enfin satisfait, s’isole dans son îlot,
Repris par sa passion, comme font les ermites.

Agatha apaisée, par son discret voisin,
Etale son cahier à la dernière page
Elle le sillonne, le lissant de sa main,
Et s’absorbe bientôt sans sentir de blocage.

L’orage inopiné fait entrer les clients,
Et les gens excités fracassant le silence
Cherchent à profiter, pressés et impatients,
Des places vacantes, sans craindre l’ingérence.

Le tapage s’apaise et bientôt l’on entend
Le son des voix devenir inintelligible.
Agatha dégage la table activement,
Car trop timide elle aimerait être invisible.

Son voisin, certainement impressionnant,
Garde solitaire l’endroit inviolable,
Et levant son regard, cependant avenant,
IL invite Agatha à se mettre à sa table.

Permettez- moi Madame d’offrir cet endroit,
Car ici l’on n’entend moins la cacophonie.
Il y a ici des bavards, aimant le charroi,
Et nos écrits détestent la disharmonie.

Agatha ne se fait pas prier, et transporte
En face de son hôte, sa tasse et son sac,
Remercie timidement, de sa voix accorte,
Mais regarde l’horloge et entend son tic tac.

Il serait temps de regagner l’appartement,
Son repas n’est pas prêt, et elle craint d’écrire
Devant cet homme et, dans son affolement,
Elle se met à bégayer et ne sait rien dire

Elle est restée trop longtemps dans ce vain silence,
A ne parler à personne et cherche ses mots.
Son sang fortement bondit, avec violence,
Et sa pression s’accélère, fortissimo.

Suite 16

L’homme écarte son cendrier plein de pages froissées,
Balaie ses cendres, et pose dans des assiettes
Les restes de croissant de la table poissée,
En escamotant, discrètement les miettes.

- « J’ai de regrettables manies de célibataire,
Et promets d’arrêter la cigarette, demain !
Mais en écrivant, je ne sais m’en défaire,
Elle pend à mes lèvres, en passant par la main.

Son interdiction devrait me rendre sage,
J’éteins dehors mon mégot, avec application,
Mais je sens son arôme en écrivant ma page,
Et cela accroit mon imagination.

Comme moi, je le sais en voyant le cahier,
Votre loisir favori doit être d’écrire ?
Je m’exerce péniblement à rimailler,
En demandant à mes mots de savoir transcrire."

- « Je commence à peine et je passe mon temps
A inventer l’histoire de mes personnages !
Je crois les cerner mais, c’est parfois consternant,
Ils dictent des phrases emplies de rabâchages. »

-« Écrire des romans ? Cela est admirable !
Je m’adonne à rimer, et le chemin est long
La poésie parfois parait art négligeable
Mais donne ce plaisir sans avoir de galon. »

Suite 17

Agatha boit avec délice les paroles,
Et elle, timide, s’enhardit à parler
De ses héros fictifs, mais chargés de symboles
En s’étonnant alors, à se les dévoiler.

Eve et Agatha ont les mêmes sentiments,
Et sont évidemment la partie inspirée
Des projets de l’adolescence, s’exprimant
Et donnant à la vie des pensées éclairées.

Agatha à présent, à travers son histoire,
Dévoile ses regrets de rêves caressés,
Il y a très longtemps et elle se met à croire
A ses songes d’alors, si vifs et empressés.

Gardées profondément ses aspirations
Rejaillissent, et elle se sent investie
Par le désir de vivre en vrai ses émotions,
Même si en son Eve, elle s’est travestie.

En s’exposant ainsi, sa parole s’anime,
Elle perd sa timidité, et viennent les mots
Exprimant avec force sa pensée intime,
A personne révélée, même à demi-mots

-« Je m’appelle Francis, ce serait agréable
De savoir nos prénoms, car la prochaine fois
En reprenant le fil, il sera appréciable
De voir ici l’amie, à la table de bois. »

-« Et moi, c’est Agatha ! Me voilà étonnée
De parler sans arrêt et avec cet élan !
Ordinairement, vraiment paralysée,
Je ne sais pas parler, tant je n’ai pas de cran.

Notre long entretien m’a permis de connaître
Combien la poésie enrichit votre esprit.
Mon roman terminé, je devrai bien m’y mettre
Mais je dois réviser les styles incompris. ».

-« Agatha j’aimerai partager ma passion,
Des rimes et des lois mais en étant modeste
J’ai de l’expérience et cette admiration
J’aimerai la donner mais sans être indigeste. »

Sans s’en rendre compte, ils ont passé le temps
Dans ce coin retiré et devenant très sombre
Le soir est tombé car le ciel s’assombrissant
Les lampes s’éclairent et chassent les ombres.

Suite 19

Agatha regagne son logis refroidi,
Le foyer s’est éteint, mais le potage est tiède,
Elle s’en sert largement et boit, très épicé,
Ce mélange d’herbes, choisi comme remède.

Son gros chandail de laine enfilé à la hâte,
Le brasier ranimé et ronflant à présent,
Agatha se prend à rêver, et devient immédiate,
La rédaction de son récit omniprésent.

Absorbée par son texte, elle en reprend le fil,
Et voit venir à elle sa belle héroïne.
Brossant rapidement le climat en avril,
Il sera facile de rendre Eve câline.

Elle l’avait laissée en été, à la plage,
Et voilà ce printemps imposant à la fois
L’émoi des sentiments, bien normal apanage,
De forts débordements, mais sans être grivois.

Ève, en robe blanche et fines espadrilles,
Se déplace en dansant et fredonne à mi voix,
Imitant, égayée, les bien vibrantes trilles
De ce pinson galant et sa belle de choix.

Suite 22

La jeep s’arrête à la large plate-forme,
Dominant la vallée étroite et verdoyante.
Devant le chalet de rondins en bois d’orme
Jaillit, fraiche et claire, la fontaine de Dante.

L’abri, propriété des gardes forestiers,
Sans vis-à-vis et possédant le nécessaire,
Adam s’y établit de longs mois, volontiers,
Et devient le maitre avéré de ce coin agraire

Il dégage la porte, de ses cadenas,
Et laisse entrer Eve dans cette grande salle.
L’immense lit trône, portant son matelas
Rayé Gris et blanc, près de la table bancale.

Eve constate l’émotion l’envahir,
Car elle sent sa voix coincer dans la poitrine.
Adam l’observe et, voyant son émoi venir,
Montre le chemin serpentant vers la colline.

-« Prends place maintenant et sois mon invitée
Ce soleil va bientôt bronzer jambes et bras.
Accordes moi l’instant de sortir l’assiettée
De jambon de pays caché dans ce cabas

Après on ira voir si le grand circaète
S’est acclimaté dans l’espace destiné
A sa nidification, et sa cache secrète,
Car à présent son oisillon doit être né »

A suivre..